La Maison des autres by Clavel Bernard - La grande patience 001

La Maison des autres by Clavel Bernard - La grande patience 001

Auteur:Clavel, Bernard - La grande patience 001 [Clavel, Bernard]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Hérétiques
Publié: 1961-12-31T23:00:00+00:00


31

Il était à peu près dix heures lorsque Mme Petiot, ouvrant la porte de la salle à manger, appela son mari :

— Ernest ! Ernest ! On te demande au magasin !

Le patron quitta le laboratoire en disant :

— Encore un représentant. Ah, ceux-là, alors !

Dès qu’il fut sorti, Victor dit :

— Râle toujours, tu es assez content d’aller boire l’apéro avec eux !

Ce matin-là encore, ils s’étaient levés de bonne heure. Et le chef avait promis une semaine pénible, à cause de la fête des Rois dont le gros coup serait donné le dimanche.

— Là, disait Victor, si tu n’as jamais vu de la brioche, Julien, tu en verras. Des baquets et des baquets. Et de la pâte feuilletée à t’en dégoûter pour le reste de tes jours et du commeau…

— Ça va, ça va, criait le chef, t’excite pas d’avance, on sait bien que tu aimes le travail.

Malgré ce mardi de repos la fatigue subsistait. Le rythme rompu était bien difficile à reprendre. Le patron, que le bénéfice réalisé à la fin de l’année avait déridé durant quelques jours, s’était de nouveau montré bougon dès son arrivée. Il avait, plus de vingt fois déjà, traité Julien de gourde et d’empaillé. Mais l’apprenti semblait ne pas entendre.

M. Petiot resta absent un bon quart d’heure. Quand il revint, il riait. Un rire nerveux, qui s’arrêtait, reprenait pour s’arrêter de nouveau. Le chef et Victor lui lancèrent un coup d’œil surpris. Julien qui graissait des moules à madeleines s’arrêta un instant pour lever les yeux, mais son regard rencontra celui du patron. Et, aussitôt, le patron fronça les sourcils. Les muscles de son visage roulèrent sous sa peau. Il fit encore un aller et retour entre le four et le marbre, puis, s’adressant à tous, il lança :

— Formidable… Formidable ! Trente-six ans de métier : jamais vu ça.

Le chef l’observa un instant, puis se remit à l’ouvrage. Le patron s’approcha de lui et continua :

— Vous m’entendez, André. Jamais vu ça.

Il hésitait. Il regardait tantôt l’un, tantôt l’autre. Et, chaque fois qu’il se tournait vers Julien, Julien baissait la tête. Quelque chose lui disait qu’il se trouvait en cause. Le patron se promena encore en répétant qu’il n’en revenait pas ; puis, s’arrêtant brusquement, il montra Julien du doigt et se mit à crier :

— Vous voyez cet individu ? Vous le voyez bien ?

Les autres s’étaient retournés.

— Allons, fit le patron, regardez-le bien, vous n’aurez pas tous les jours l’occasion d’en rencontrer des pareils. Savez-vous ce que c’est ?

Il fit une pause, mit ses poings sur ses hanches et tendit son petit ventre en avant. Les autres ouvraient de grands yeux.

— Vous ne devinez pas ? reprit M. Petiot. Vous ne devinez pas ? Allons, regardez-le bien. (Il s’adressa à Julien.) Tourne-toi !

Julien ne bougea pas. Le patron cria plus fort :

— Allez, quoi, tourne-toi.

Julien se retourna. Il y avait la table à plaques entre le patron et lui.

— Allons, tourne-toi qu’on te voie bien… À le regarder comme ça, il ne vous inspire pas pitié ?

Le chef fit mine de se remettre à travailler.



Télécharger



Déni de responsabilité:
Ce site ne stocke aucun fichier sur son serveur. Nous ne faisons qu'indexer et lier au contenu fourni par d'autres sites. Veuillez contacter les fournisseurs de contenu pour supprimer le contenu des droits d'auteur, le cas échéant, et nous envoyer un courrier électronique. Nous supprimerons immédiatement les liens ou contenus pertinents.